Détection du dépérissement forestier par Intelligence Artificielle à partir de données Sentinel-2
Les forêts de chênes de la région Centre-Val de Loire sont en proie à un dépérissement progressif depuis plusieurs années, à cause des sécheresses répétées et des stress hydriques cumulés.
Pour suivre ce phénomène à grande échelle, les chercheurs du CESBIO et de l’université d’Orléans ont développé une approche basée sur l’intelligence artificielle et l’imagerie multi-spectrale Sentinel-2 dans le cadre du projet RECONFORT.
Une méthode d’intelligence artificielle supervisée
Le cœur de la méthode repose sur un modèle de classification « Random Forest », un algorithme d’apprentissage automatique, capable de fonctionner avec relativement peu de données de référence. À partir d’exemples connus, le modèle apprend à identifier les motifs spectro-temporels associés aux forêts saines ou dépérissantes, puis à prédire l’état sanitaire de la végétation pour chaque pixel Sentinel-2
Cette approche exploite les séries temporelles d’indices spectraux de Sentinel-2. Chaque pixel est décrit par deux indices, CRswir et CRre, dérivés respectivement des bandes spectrales dans le moyen infra-rouge et dans le proche infra-rouge (red edge) calculés sur deux années consécutives. L’indice CRswir est sensible à la teneur en eau, et l’indice CRre est sensible à la teneur en chlorophylle. Ces informations multi-temporelles permettent au modèle de détecter les tendances de déclin végétatif.
Des données d’apprentissage robustes
Pour entraîner le modèle, les chercheurs ont constitué une base de données de plus de 2 700 placettes forestières suivies entre 2017 et 2022 selon le protocole « DEPERIS » du Département de la Santé des Forêts.
Dans chaque placette (comptant environ 20 arbres) chaque arbre est noté de A (sain) à F (mort). Une placette est considérée comme « dépérissante » dès que 20 % des arbres présentent des symptômes de dépérissement (à partir de la lettre D). Nous avons défini deux niveaux de dépérissement dans le modèle: dépérissement moyen (arbres dépérissants entre 20 % et 50%) et dépérissement fort si plus de 50 % des arbres sont dépérissants.

Afin de stabiliser davantage le modèle, les données ont été étendues dans le temps.
– une placette saine à l’année Y est réputée saine aux années Y-1 et Y-2 ;
– une placette dépérissante le reste aux années Y+1 et Y+2.

Cette augmentation artificielle a permis d’améliorer la robustesse. L’entraînement et la validation du modèle ont été effectués sur deux jeux de données distincts : le premier a servi à la calibration et le second, spatialement indépendant (séparé par un tampon de 10 km) a permis de tester la capacité de généralisation.
Les variables Sentinel-2 les plus discriminantes
L’analyse de l’importance des variables (voir Figure 3) montre que certaines bandes et indices Sentinel-2 sont essentiels pour détecter le dépérissement :
– les bandes SWIR (B11, B12), liées au contenu en eau de la végétation ;
– les bandes du red-edge (B5, B6, B7 et B8A), sensibles à la chlorophylle et à la structure du feuillage ;

Le modèle accorde ainsi une importance majeure aux variables reflétant la santé physiologique et hydrique du couvert forestier plutôt qu’à celles liées uniquement à la réflectance dans le visible.
Cette hiérarchie des « features » confirme la pertinence biophysique de l’approche : le dépérissement se manifeste avant tout par une diminution de la teneur en eau et de la chlorophylle dans la canopée.
Validation et performances
Le modèle Random Forest affiche une précision d’environ 80 % sur les zones d’apprentissage, avec une baisse limitée d’environ 5 % sur les zones non vues lors de l’entraînement.
Cette stabilité confirme la robustesse du modèle et sa capacité à être appliqué opérationnellement à l’échelle régionale.
Les cartes produites révèlent une évolution significative du dépérissement des peuplements de chênes entre 2019 et 2022, avec une augmentation passant de 15 % à près de 25 % des peuplements de chênes touchés (voir Figure 4)

Une chaîne de traitement automatisée
Cette méthode a été intégrée à la chaîne logicielle IOTA², développée par le CESBIO. Cette plateforme permet de traiter de manière opérationnelle et reproductible les images Sentinel-2 de niveau 2A, issues des traitements MAJA de THEIA et disponibles dans GEODES). Cette chaine permet d’assurer un suivi régulier et efficace de la santé des forêts sur de vastes territoires.
Perspectives
Les travaux se poursuivent pour :
– étendre la méthode à l’ensemble des essences feuillues et conifères.
– déployer la chaîne de production à l’échelle nationale.
Autrice :
Milena Planells, CNES (campus de la donnée) et CESBIO
Références
Mouret F., Morin D., Martin H., Planells M., Vincent-Barbaroux C. (2023).
Toward an Operational Monitoring of Oak Dieback With Multispectral Satellite Time Series: A Case Study in Centre-Val de Loire Region of France.
IEEE Journal of Selected Topics in Applied Earth Observations and Remote Sensing.
Mouret, F., Beaudonnat, L., Morin, D., Planells, M., Martin, H., & Vincent-Barbaroux, C. (2024). Apport de la télédétection pour la cartographie du dépérissement forestier des chênes en région Centre-Val de Loire. Revue forestière française, 75(2), 171–183. https://doi.org/10.20870/revforfr.2024.8191

